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Les Mangas plus lus que les BD classiques ?

Introduction

Il est souvent affirmé que les mangas et les bandes dessinées franco-belges (BD) supplantent les ventes des comics de super-héros anglo-saxons. Cette déclaration, sujette à débat et parfois politisée, recèle une part de vérité substantielle, surtout en ce qui concerne le marché du manga.

Les discussions dans les sources révèlent une dynamique complexe où plusieurs facteurs économiques, culturels et structurels expliquent la position dominante du manga, la forte présence des BD en Europe, et les défis croissants rencontrés par les comics de super-héros.

La Domination Incontestée du Manga sur le Marché Mondial

Le consensus général, étayé par de nombreuses observations et quelques données, est que le manga surpasse massivement les ventes de comics de super-héros occidentaux, en particulier aux États-Unis.

Plusieurs intervenants affirment que Kodansha à elle seule a généré plus de revenus que Marvel et DC combinés l’année dernière aux États-Unis.

Une statistique notable indique qu’en 2022, le manga a représenté 79% des ventes de romans graphiques aux États-Unis.

Des témoignages anecdotiques de librairies confirment cette tendance : les sections manga sont plus grandes et attirent beaucoup plus de trafic que les sections de comics traditionnels. Il est même avancé qu’un seul titre de manga, Demon Slayer, a dépassé les ventes de l’ensemble de l’industrie occidentale de comics sur une année (potentiellement 2020 ou 2021).

Plusieurs raisons fondamentales expliquent cet essor fulgurant du manga :

  • Accessibilité et Distribution Étendue : Contrairement aux comics de super-héros, qui sont majoritairement confinés aux magasins spécialisés (le “marché direct”), les mangas sont largement disponibles dans les librairies grand public comme Barnes & Noble, Walmart et Target. Cette présence dans des points de vente non spécialisés rend les mangas beaucoup plus faciles à trouver et à acheter pour un public plus large.
  • Rapport Qualité-Prix Imbattable : Le manga offre un volume de contenu nettement supérieur pour un prix inférieur. Par exemple, un volume de Jujutsu Kaisen à 9,99 $ contient 197 pages, tandis qu’un fascicule américain coûte 3,99 $ pour seulement 24 pages (plus 8 pages sans rapport avec l’histoire). Même les recueils (trade paperbacks) de comics américains sont souvent plus chers pour moins de contenu que les volumes de manga. De plus, l’accès numérique au catalogue Shonen Jump est incroyablement abordable, coûtant seulement 2 à 3 $ par mois, voire offrant les derniers chapitres gratuitement.
  • Structure Narrativique Conviviale pour le Lecteur :
    • Points de départ clairs et progression linéaire : Les mangas sont conçus pour être lus du volume 1, puis du volume 2, et ainsi de suite, sans relances ni réinitialisations déroutantes. Cela contraste fortement avec les comics américains, où il est souvent difficile pour un nouveau lecteur de savoir par où commencer en raison de la continuité complexe et des nombreux points d’entrée.
    • Histoires conclusives : La plupart des mangas ont une fin définie, offrant aux lecteurs une satisfaction de voir l’histoire se terminer, contrairement aux comics de super-héros où les personnages sont souvent piégés dans un cycle sans fin de résurrections, reboots et redéfinitions. Bien que des exceptions comme Berserk ou One Piece existent, ces dernières ont aussi une fin en vue.
    • Cohérence créative : Un mangaka (auteur-artiste de manga) est généralement la force motrice unique derrière une série, assurant une cohérence artistique et narrative. Cette fidélité à la vision de l’auteur renforce l’engagement des lecteurs, qui sont « fanatiquement loyaux » envers le mangaka. Dans les comics américains, les équipes créatives changent fréquemment, entraînant des variations de ton et de style qui peuvent dérouter les lecteurs.
    • Moins de crossovers et de tie-ins : Les mangas se concentrent sur leurs propres intrigues, sans forcer les lecteurs à acheter d’autres séries pour comprendre l’histoire principale, un problème courant dans l’industrie des comics de super-héros.
  • Synergie Puissante avec l’Anime : Le succès de l’anime est un moteur majeur des ventes de manga. De nombreuses séries animées sont des adaptations directes de mangas, créant un « pipeline » de nouveaux fans qui, une fois l’anime rattrapé, se tournent vers le manga pour continuer l’histoire ou découvrir les différences. Cette relation symbiotique est moins prononcée dans l’industrie des comics occidentaux, où les adaptations cinématographiques ou télévisées ne stimulent pas de la même manière les ventes de comics.
  • Diversité des Genres : Le marché du manga offre une gamme bien plus large de genres que les comics de super-héros. Des sections de librairies dédiées aux mangas sont souvent organisées par genre (romance, horreur, action, slice of life), facilitant la découverte pour les nouveaux lecteurs. Les comics américains sont perçus comme trop centrés sur les super-héros, manquant de diversité dans les récits.
  • Perception Culturelle et Stigmate : Au Japon et dans de nombreuses parties du monde, la lecture de manga est considérée comme un loisir légitime pour tous les âges, sans le stigmate de « nerd » ou d’enfantin souvent associé aux comics aux États-Unis. Cette acceptation généralisée encourage une base de lecteurs plus large et plus diversifiée.

La Résilience et l’Influence des Bandes Dessinées Franco-Belges

Bien que la question initiale mette le manga et la BD sur un pied d’égalité, les sources suggèrent que la situation des BD est différente de celle du manga en termes de ventes mondiales par rapport aux comics américains. Cependant, les bandes dessinées franco-belges jouissent d’une popularité exceptionnelle et d’un statut culturel élevé en Europe, en particulier en France et en Belgique.

  • Ventes Impressionnantes en Europe : En France, les BD ont vendu 32,6 millions d’exemplaires en 2022, comparés aux 48 millions de mangas et seulement 3,7 millions de comics américains. Le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême en France attire près du double de participants que le San Diego Comic Con. Dans les librairies européennes, les BD occupent souvent la majeure partie de l’espace, reléguant les super-héros à un coin.
  • Succès International de Certaines Œuvres : Des classiques comme Astérix et Tintin sont immensément populaires à travers l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Un nouvel album d’Astérix peut se vendre à plus de 5 millions d’exemplaires dans le monde, dont plus de la moitié hors de France. Ces séries sont largement disponibles dans les supermarchés, les kiosques et les librairies, prouvant leur capacité à toucher un large public, y compris les jeunes. Les Schtroumpfs sont également reconnus mondialement, avec des produits dérivés comme les Funko Pops exclusifs en Asie.
  • Influence et Adaptations Cinématographiques : Plusieurs BD franco-belges ont été adaptées en films américains de premier plan, tels que Old, The Killer et Snowpiercer. Des créateurs comme Moebius et Jean-Claude Mézières ont profondément influencé la science-fiction américaine.
  • Statut d’Art Reconnu : En Europe, la bande dessinée est souvent désignée comme le « neuvième art », jouissant d’une reconnaissance et d’un respect en tant que forme d’art à part entière, avec des expositions muséales dédiées. Ce n’est pas une forme de divertissement considérée comme « enfantine ».
  • Modèle Économique Différent : Le modèle de la BD est moins « hyper-capitaliste » que celui des éditeurs américains, privilégiant des histoires plus contenues et des équipes créatives plus stables, avec moins de supervision éditoriale.

Cependant, il est important de noter que si les BD sont très fortes en Europe, leur présence est perçue comme “minime” ou “non significative” sur le marché américain. La barrière de la langue est également un facteur pour leur diffusion hors des marchés francophones.

Les Enjeux et le Déclin des Comics de Super-Héros Anglo-Saxons

Le constat est sévère pour les comics de super-héros : leurs ventes sont en déclin depuis longtemps. En 2022, les ventes de comics de super-héros ont augmenté de seulement 3%, tandis que celles des mangas ont bondi de 80%. Les raisons de ce déclin sont multiples et profondément enracinées dans le modèle de l’industrie :

  • Modèle de Distribution Obsolète : L’industrie des comics américains est fortement dépendante du « marché direct » des magasins spécialisés, dont le nombre diminue. Les tentatives d’élargir la distribution (par exemple, chez Walmart) ont échoué. Des suggestions d’expansion vers des lieux comme les salons de coiffure ou les librairies religieuses ont été ignorées par Marvel et DC.
  • Coût Prohibitif et Faible Contenu : Les fascicules mensuels (floppies) sont considérés comme trop chers (4 à 5 $ pour une vingtaine de pages d’histoires de qualité moyenne). Ce faible rapport prix/pages dissuade les nouveaux lecteurs, en particulier les jeunes, qui trouvent les mangas plus rentables.
  • Barrières à l’Entrée pour les Nouveaux Lecteurs : C’est l’un des problèmes les plus cités.
    • Continuité complexe et fracturée : Les univers de super-héros sont saturés d’histoire, de reboots, de retcons, et de multiples versions des personnages, rendant l’orientation quasi impossible pour un novice.
    • Crossovers et tie-ins forcés : Les lecteurs sont souvent contraints d’acheter plusieurs séries auxquelles ils ne sont pas intéressés pour suivre une histoire complète.
    • Manque de points d’entrée clairs : Il n’y a pas de “volume 1” évident pour commencer une série, et les relances de numéros 1 tous les quelques années ajoutent à la confusion.
    • Problème de la “statu quo” : Les personnages de super-héros retournent souvent à leur point de départ après un arc narratif, limitant la croissance et l’évolution des personnages.
  • Qualité du Contenu et Perte d’Intérêt : De nombreux critiques estiment que les histoires ne sont plus « dignes d’être lues » et que Marvel et DC refusent de corriger le cap. Le contenu est perçu comme « médiocre » ou « de la camelote ». Les super-héros sont devenus « ringards » et n’attirent plus les jeunes lecteurs.
  • Échec à Capitaliser sur la Popularité Transmédiatique : Malgré l’immense succès du Marvel Cinematic Universe (MCU), cela n’a pas entraîné d’augmentation significative des ventes de comics. L’industrie n’a pas réussi à « tirer parti de la popularité des personnages auprès de nouveaux lecteurs potentiels ». De plus, le manque de nouvelles séries animées pour enfants sur des chaînes accessibles est un problème, les studios préférant se concentrer sur les ventes de jouets ou confinant le contenu à des plateformes payantes comme Disney+.
  • Modèle Commercial Défectueux : La pratique des couvertures variantes et de la rareté artificielle est critiquée comme une tentative de « presser les derniers jus » de la base de fans existante plutôt que d’attirer de nouveaux publics. Le marché numérique des comics a également été « massacré ».
  • Perception Négative : Lire des comics est encore souvent considéré comme un loisir de « nerd », « de niche » ou « enfantin » aux États-Unis, contrairement au manga qui a gagné en « maturité » et en acceptation sociale. Les comics sont vus comme un « médium secondaire », principalement comme source d’adaptations pour films et jeux, plutôt que comme une forme d’art respectée en soi.

Nuances et Perspectives

Il est crucial de nuancer la discussion. Le terme « comics anglo-saxons de super-héros » est une désignation spécifique. Le marché américain du comic n’est pas uniquement composé de super-héros. En fait, la majorité des ventes de comics occidentaux proviennent des romans graphiques jeunesse (YA graphic novels), principalement non liés aux super-héros. Des titres comme Dog Man et les séries de Raina Telgemeier (Baby-Sitters Club) dépassent les ventes de Batman chaque mois, même lorsque ce dernier est en tête des classements du marché direct américain. Cela indique que les Américains sont ouverts aux comics, mais qu’une petite partie d’entre eux seulement s’intéresse spécifiquement aux super-héros.

Concernant l’argument des « nerds d’extrême droite » qui attribuent le déclin des ventes à la « politisation » ou aux thèmes « progressistes » des comics, les sources rejettent cette idée. Il est souligné que les comics ont toujours eu des thèmes progressistes et politiques (Captain America a frappé Hitler dans sa première apparition). Le problème réside plutôt dans un « manque de connexion massive entre les écrivains et le lectorat », ainsi que dans des problèmes structurels et de qualité bien plus profonds.

Certains défendent la diversité des comics occidentaux en dehors des « Big Two » (Marvel et DC), notant qu’il existe de nombreux titres indépendants de haute qualité avec des styles artistiques et des thèmes variés. Cependant, ces œuvres manquent souvent de la reconnaissance et du soutien marketing nécessaires pour atteindre un public plus large.

Enfin, bien qu’un gérant de magasin de comics ait affirmé que les ventes de manga dans son magasin étaient bien inférieures à celles des comics, cela est mis en perspective par le fait que les mangas sont principalement vendus dans les librairies générales plutôt que dans les magasins de comics spécialisés.

Conclusion

En somme, la déclaration selon laquelle « les mangas et les bandes dessinées franco-belges surpassent les ventes de comics de super-héros anglo-saxons » contient une vérité incontestable en ce qui concerne le manga, qui domine clairement le marché mondial et américain en termes de ventes et de pénétration de marché. Les BD, quant à elles, sont extrêmement populaires et culturellement importantes en Europe, avec des ventes massives sur leur territoire, mais leur impact sur le marché américain reste limité par rapport aux super-héros ou aux mangas.

Les comics de super-héros occidentaux sont confrontés à une crise majeure due à un modèle économique obsolète, des coûts élevés, une distribution limitée, des barrières d’entrée narratives complexes, et un manque perçu de pertinence et de qualité de contenu pour les jeunes générations. Pour inverser cette tendance, l’industrie des comics de super-héros devrait envisager une refonte massive de son approche, en se concentrant sur des histoires complètes publiées en volumes, en réduisant la rareté artificielle, en adoptant des standards numériques modernes, en baissant les prix, et en améliorant le marketing pour attirer un public plus large. Tant que ces changements ne se produiront pas, le manga continuera probablement à creuser l’écart, et les BD maintiendront leur position forte dans leurs marchés traditionnels.

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